La dernière révolution française
La Commune de Paris de 1871 s'est terminée par le massacre de la « semaine sanglante » ordonné par le gouvernement bourgeois installé à Versailles.
Comme le relève l'historien britannique Robert Tombs [1], par son nombre de victimes - 10.000 à 20.000 selon les sources - cette tragédie représente « une boucherie sans équivalent dans l'Europe du XIXème siècle ».
Elle a été « en grande partie une tuerie froide et impersonnelle », comme « un des signes avant-coureurs de l'ère moderne des génocides ».
Par les mesures sociales et démocratiques qu’elle met en oeuvre, la Commune de Paris incarne pour les révolutionnaires du monde entier la première tentative d’instaurer un modèle de société socialiste.
Après l’avoir souillée et vilipendée, la classe dominante - bourgeois républicains, bonapartistes et monarchistes confondus - ont organisé son oubli. Au point que les programmes d’Histoire de l’école publique ont - jusqu’à aujourd’hui - tenté de rayer de la mémoire collective le souvenir de ce mouvement populaire ainsi que celui du massacre sur lequel s’est édifiée la Troisième République.
Après 1830 et 1848, la Commune de Paris a été la dernière révolution française du XIXème siècle. Elle a été en même temps la dernière révolution française.
Depuis, la classe ouvrière s’est dotée d’organisations - syndicats et partis - dont les programmes affichaient et continuent d'afficher leur ambition de mettre fin à l’exploitation capitaliste voire explicitement d’instaurer le socialisme.
Mais tout le XXème siècle est passé sans que cet objectif ne soit jamais atteint.
Après la Première guerre mondiale, qui avait montré aux peuples à quelles extrémités la logique meurtrière du capitalisme pouvait conduire - un million de morts rien qu'en France - un vent de révolte s’est propagé dans de nombreux pays d''Europe.
Des révolutions à vocation socialiste ont éclaté en Russie, en Allemagne, en Hongrie. Cela ne s'est pas produit en France. Sans doute, le peuple français et sa classe ouvrière étaient-ils trop englués dans leur « crétinisme parlementaire ».
Plus décevant encore, allié aux puissances capitalistes d'Europe, l'Etat français a pu - sans rencontrer d'opposition majeure - participer aux interventions militaires [2], et au blocus économique et sanitaire destinés à isoler puis étouffer la révolution russe [3].
Il en résultera une hécatombe sanglante, des épidémies et des famines qui contribueront à conférer un cours extrêmement violent à la Révolution russe. Ce que Lénine et ses compagnons ne souhaitaient pas.
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[1] Robert Tombs, The War against Paris, 1871, Cambridge University Press, 1981. Edition française : La guerre contre Paris, 1871, Ed. Aubier, 1997.
[2] Les troupes françaises et britanniques débarquent à Mourmansk (juillet 1918), les troupes japonaises à Vladivistok (avril 1918), les troupes italiennes à Arkhangelsk (septembre 1918), les troupes turques et britanniques occupent l'Azerbaïdjan (août 1918), les troupes polonaises envahissent la Biélorussie (février 1919) puis l'Ukraine (avril 1920).
Le manque de solidarité de la masse de la classe ouvrière française ne rend que plus valeureuse l'action des marins de la mer Noire qui se sont mutinés pour ne pas avoir à combattre les révolutionnaires russes. Lire : Jean Le Ramey et Pierre Vottero, Mutins de la mer Noire, Ed. Sociales, 1973.
[3] La guerre civile - voulue et entretenue par les capitalistes occidentaux qui soutenaient militairement et diplomatiquement les contre-révolutionnaires tsaristes - aurait causé entre 3 et 7 millions de morts auxquels s'ajoutent les victimes de la famine (5 millions) et du typhus (2 millions).
Jean-Pierre Dubois
La « Montée au mur des Fédérés » le 26 mai 2012 :